Après les vagues successives d’indépendance des pays d’Afrique, les populations qui s’étaient libérées du joug colonial ont pensé qu’elles allaient enfin prendre leur destin en main avec la mise en place d’institutions et une représentativité du peuple à l’Assemblée Nationale. Ceux qui ont accédé au pouvoir, élus ou non, démocratiquement ou pas ont promis monts et merveilles à leur peuple. Même si certains étaient de bonne foi, le bilan reste mitigé voire catastrophique car ces responsables n’ont pas voulu respecter la Constitution de leur pays et ont pris en otage leur population pour rester au pouvoir au prix de vies humaines sacrifiées.
Les africains en général et les guinéens en particulier prennent conscience qu’il est temps d’être acteurs de la destinée de leur pays. Aujourd’hui, cette nouvelle génération fait entendre sa voix et refuse de rester passive face à l’injustice et au non-respect des droits des citoyens.
En Guinée, nous assistons à une prise en otage des Institutions par le pouvoir avec des acteurs complices ou consentants parce que corrompus:
– La promulgation de la loi portant sur l‘organisation et le fonctionnement de l’Institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (INIDH) illustre la manipulation et le détournement des Institutions. Le texte fondateur de l’INIDH, adopté par le Conseil National de Transition le 14 Juillet 2011, prévoyait la participation des représentants de l’administration à titre consultatif uniquement. Cette disposition est en conformité avec les principes de la Commission des Droits de l’Homme (réf 1992/54) et répond aux exigences contenues dans la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 20 décembre 1998 (A/RES/48/134). Or, force est de constater que la version publiée par les autorités a été modifiée et donne voix délibératives aux représentants du Pouvoir Exécutif, ce qui constitue une violation de la garantie d’indépendance de l’INIDH et un non-respect des dispositifs constitutionnels relatifs à l’adoption des lois et textes par le parlement.
– La dissolution des conseils communaux et leur remplacement par des délégations spéciales dont les mandats sont échus est une violation des articles 77 et 105 du Code des Collectivités Locales.
Nous assistons désormais à une dérive autoritaire avec intimidations des opposants, répression et violence contre des manifestations pacifiques.
Les paroles et les actes du Président Alpha Condé révèlent un profond mépris envers les Guinéens. Un Président de la république qui mène une politique fondée sur la haine, l’exclusion ethnique à des fins électoralistes, qui gouverne en violation permanente des lois et de la Constitution, qui a démontré son incompétence et son illégitimité, ne saurait plus longtemps être toléré.
Comme lors des législatives de 2013, l’opposition est marginalisée dans la préparation des futures élections. Le pouvoir prône ‘’le dialogue’’, stratégie d’enlisement, avec comme scénario probable au dernier moment la proposition de quelques concessions opportunes et des déclarations d’intention :
• une répartition des représentants communaux, invoquant le délai insuffisant pour organiser les élections communales et communautaires ;
• le remplacement de quelques membres de la CENI sachant que s’allier leur ‘’ obéissance’’ ne sera qu’une formalité ;
• et éventuellement, la déclaration d’un engagement d’assainissement du fichier électoral, qui bien évidemment sera sans suite car ce dernier constitue leur sésame pour passer le premier tour.
L’opposition va-t-elle tomber encore une fois dans le piège ? Serait-elle aux abois à l’approche de la date fatidique au point de souscrire aveuglément à cette mascarade qui ne peut que la mener à sa propre perte ? Ou alors va-t-elle avoir le courage d’affirmer haut et fort qu’elle ne participera pas aux élections du 11 Octobre 2015 dans les conditions actuelles et déclarer le Président Alpha Condé illégitime pour diriger la Guinée ?
Malheureusement, un scenario se dessine déjà, ainsi illustré par la Déclaration du chef de file de l’opposition Cellou Dalein Diallo dans l’interview sur RFI du 27 Juillet 2015 dont voici un extrait :
« A quelles conditions accepterez-vous d’aller à l’élection du 11 octobre ?
On a envisagé de trouver une solution pour les communes : c’est de composer des délégations spéciales à la lumière des résultats de la proportionnelle aux dernières élections législatives, pour que chaque parti puisse être représenté en fonction du score qu’il a réalisé lors de ces élections.
Donc, à cette condition, vous irez le 11 octobre ?
A cette condition, mais aussi si l’on réussit à assainir complètement le fichier, pour qu’il soit un fichier qui représente la réalité du corps électoral. »
Une opposition qui initialement dénonce la non-représentativité des délégations communales et qui finalement s’accommode de répartir des nominations basées sur les résultats frauduleux des dernières législatives ne fait preuve que de son inconsistance. Cette opposition a-t-elle donc si peu de respect pour la constitution et ses citoyens que seul compte l’accession au pouvoir ?
Une opposition qui dénonce des élections législatives frauduleuses et qui siège à l’Assemblée Nationale est-elle une opposition crédible ?
Une opposition qui dénonce des violations de la loi sans prendre les mesures conséquentes pour rétablir le droit en exigeant l’organisation des élections communales avant les présidentielles, est-elle une opposition responsable ?
Seul le PEDN (Parti de l’Espoir et du Développement National) du leadeur Lansana Kouyaté a su démontrer une cohérence politique face aux évènements. La réponse aux fraudes des élections législatives de 2013 a été de déposer un recours en justice mais surtout de refuser de siéger à l’Assemblée Nationale. Pour l’instant, c’est bien le seul parti dont les actes reflètent le discours.
En lisant l’interview de Sadio Barry, nouvellement élu au poste de Secrétaire Général de l’UFD (Union des Forces Démocratiques), nous constatons que d’autres responsables rejoignent cette vision qui place au centre le respect de la Constitution et des citoyens. Nous ne pouvons que partager avec lui la phrase de Robespierre : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » Nous attendons de voir si les actes suivront le discours.
Si l’opposition négocie un arrangement et fait l’impasse sur le respect de la loi, alors elle se rendra complice des mêmes violations et devra assumer le maintien du régime en place. Le sacrifice de ceux qui sont tombés pour la cause aura été vain.
C’est aujourd’hui, non seulement à l’opposition, mais à la société civile et à chaque citoyen qu’incombe la responsabilité de défendre la Constitution. Il s’agit pour tous de se mobiliser avec comme objectifs d’imposer la modification du calendrier des élections communales et présidentielles, d’exiger et d’obtenir la révision du fichier électoral car nous devons défendre l’état de droit.
Les guinéens auront-ils le même courage que leurs voisins Maliens, Ivoiriens et Burkinabés pour prendre leur destin en main ? Seront-ils à la hauteur ? Seul l’avenir nous le dira.
Mariam Bah